L'usage de la raison permet-il d'éviter la violence?

Publié le 31 Décembre 2012

Dissertation d'Hugo élève de terminale S4

 

Des millénaires d’histoire humaine ont vu se constituer des sociétés, des cultures, des civilisations très diverses sans jamais que la violence ne soit effacée. Qu’elle prenne la forme de l’atrocité d’une guerre, d’une agressivité dans le rapport à autrui au quotidien, d’une punition considérée comme normale ou d’une parole brutale, la violence semble une constante humaine. Pourtant, lorsque nous considérons le sage qui parvient à vivre sans violence, nous nous rendons bien compte que nombre de nos comportements agressifs semblent disproportionnés, injustifiés voire insensés et pourraient être évités.

Que faire alors pour empêcher le déchaînement de violence ? La raison sera-t-elle un moyen approprié ?

D’un côté on voit bien que la raison a peu de poids face au déchaînement des passions et dans une telle situation l'usage de la raison ne suffit pas, mieux vaut sans doute avoir recours à l'action. D'un autre côté répondre à la violence par la contrainte ou la violence elle-même entraîne une instabilité qui risque d’être perpétuelle si la raison n’y met pas un terme. Quel est le pouvoir de la raison pour faire face à la violence? Tout d’abord, nous verrons que la raison permet de dépasser notre réaction spontanée impliquant la violence. Cependant, nous montrerons que la violence est naturelle et que la raison ne peut l’empêcher complètement. Enfin, la violence semble l’expression d’un mal-être profond que la raison doit s’efforcer d’écouter pour aboutir à un comportement non-violent.

 

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La bataille de San Romano, Paolo Uccelo.

 

 

 

 

Exercer notre faculté de raisonner lorsque nous sommes confrontés à un problème nous aide à prendre pleinement conscience des conséquences possibles de nos actes et nous responsabilise. Dès lors, la réaction de violence qui aurait pu être choisie spontanément est soumise au jugement critique de la raison. Cet exercice de la pensée permet en premier lieu de temporiser la situation et d’éviter tout comportement impulsif. Ensuite, le problème est relativisé ; ainsi on lui accorde une importance moindre et on évite une réaction disproportionnée : c’est l’argument du « cela ne vaut pas la peine de s’énerver ! ». Enfin, c’est la prise de recul impliquée par l’usage de notre raison qui permet bien souvent d’éviter la violence. De fait, en ramenant notre problème à l’état de situation impersonnelle, on est plus à même de distinguer les facteurs nous poussant à un adopter un comportement violent (fatigue, stress, … ) des véritables  "données" du problème. Dès lors, il semble plus approprié de trouver une solution paisible au problème. Ainsi, utiliser sa raison, par la temporisation, la relativisation et la prise de recul qu’elle entraine amène à privilégier une attitude non-violente.

La multiplication de tels usages de la raison aboutit à l’élaboration de lois qui contribuent à un certain renoncement à la violence. En effet, à force de préférer le dialogue à la violence suite à un usage personnel de la raison, l’individu attribue un caractère non souhaitable à la violence. Si cette conception est partagée à l’échelle d’une société, un droit s’établit et tend à éviter la violence en fixant des règles de vie, des lois. Ainsi les théoriciens du contrat social tels Hobbes, Rousseau ou Locke ont-ils considéré que les hommes constatant l'impossibilité de vivre dans un état de nature qui conduisaient à la guerre de tous contre tous devaient mobiliser leur raison et s'accorder pour limiter la liberté de chacun mais favoriser la paix et la sécurité de tous. A partir du moment où ces lois sont considérées comme nécessaires, leur respect fera intervenir, en plus de la raison personnelle de chaque homme, le poids du système de droit. Ainsi, peu à peu, l’individu substitue à un comportement agressif une conduite non violente qui deviendra la réaction naturelle, par défaut à tout problème.

 

La violence, réaction souvent instinctive, peut être évitée par un bon usage de la raison ; mais peut-elle être évincée de l'existence et des comportements humains?

 

 

La violence semble naturelle, comme ancrée en l’homme. Alors nulle raison ne peut pleinement la contrer : ce serait une négation de soi-même. L’homme, par nature, a un instinct de vie qui lui enseigne la méfiance. Cette forme de "principe de précaution" amène à évaluer les dangers potentiels et anticiper ses actions. Toutefois, si l’homme est confronté à quelque chose inconnue qu’il ne peut juger, il prend peur et réagit avec agressivité. Ainsi, face à autrui, l’homme a une inclinaison naturelle à la défiance qui lui paraît spontanément légitime. De là à la violence, il n’y a qu’un pas parfois franchi par les circonstances. L’homme est donc « un loup pour l’homme », selon le célèbre adage de Hobbes. L’histoire vient confirmer cette vision de la nature humaine. Lors d’une guerre, les soldats, n’ayant plus de compte à rendre, ne sont soumis qu’à leurs instincts attisés par la crainte de la mort, qui dérivent bien souvent vers une violence gratuite. D’ailleurs, les hommes ne se seraient pas regroupés en sociétés centrées autour d’Etats s’ils n’avaient eu la crainte éternelle d’un retour à la loi du plus fort, la crainte que ne s'exprime à la moindre occasion cette violence constitutive. C’est ce que soutient Hobbes dans le Léviathan : « Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. » La raison, quand elle cherche à contenir la violence, mène un combat sans fin contre la nature même de l’homme.

La violence étant naturelle, ne peut-elle être considérée comme une force humaine parmi les autres ; à ce titre, ne peut-elle être légitimée par la raison ? De fait, la violence doit être admise comme faisant partie intégrante de l’homme et de l’existence. Il peut sembler normal, rationnel d’y avoir recours lorsqu’elle ne constitue pas une fin en elle-même. Si cette idée peut paraître immorale, contraire à l’éthique, elle fait néanmoins partie de notre système. Qu’est-ce qu’une peine de prison si ce n’est une forme de violence légale visant le respect par chacun des lois et le bon fonctionnement de la société ? Le pouvoir et les moyens assurant sa conservation ont été analysés rationnellement par Machiavel qui montre que la violence peut être nécessaire au pouvoir en place et peut même, en assurant la stabilité et la sécurité d’un territoire, empêcher une violence plus grande encore qui aurait été produite par une anarchie ou un désordre politique. Ainsi, un Etat ayant le monopole de la violence garantit d’une certaine façon sa stabilité. Plus généralement, dans toute guerre, le recours à la violence apparaît nécessaire dans la mesure où il devient la condition sine qua non d’un but ultime tel la liberté, le bien-être ou même paradoxalement la paix. Ces exemples montrent bien que la raison, à travers les systèmes politiques ou judiciaires qui s’appuient sur elle, légitime parfois la violence, et ne cherche donc plus du tout à l’éviter à tout prix. Elle devient un moyen dont la raison s’autorise le recours.

 

Si la violence est parfois nécessaire pour faire face à la violence, la raison peut-elle prévenir la manifestation de la violence et si oui, à quelles conditions?

 

 

Il s’agit de redéfinir la violence comme une tentative d’expression d’une réalité cachée de notre inconscient. Revenons à la définition première de la violence : caractère des actions infligeant volontairement une souffrance. Il semble évident que l’on ne peut être violent "tout seul" :la violence s’exprime au travers de notre rapport à l’autre. Ainsi, elle peut être comprise comme une forme particulière de communication. De plus, la violence nous paraît absente lorsque nous vivons un instant de joie intense. A l’inverse, une accumulation de malheurs peut favoriser une comportement violent. La source d’une violence est donc une douleur intime, profondément personnelle. Par conséquent, un acte agressif est en quelque sorte un appel au secours informulé. Cette tentative de communication ne passe pas par la raison et ne peut donc se formuler au travers d’un langage. Enfin, cette violence est en nous sans qu’on la comprenne vraiment : on peut ainsi la rattacher à l’inconscient. On a donc montré que le comportement violent peut être interprété comme une forme de communication venant de l’inconscient, un non langage exprimant une douleur propre.

A partir du moment où la violence n’est plus une tare, une maladie chronique de l’esprit humain mais bien au contraire le reflet d’une réalité douloureuse et inconsciente, la raison doit la considérer comme faisant partie intégrante de l’être. Loin d’entrer en conflit avec cette force interne, la raison se doit d’analyser, de questionner, de décrypter, d’exercer un jugement critique sur elle pour la comprendre. Par conséquent, la volonté même que chacun a pu ressentir d’agir violemment est nécessaire au dialogue avec notre raison. C’est le reflet d’un besoin constant de renouvellement. La raison doit prendre en compte la violence pour évoluer et apprendre à connaître l’homme dans sa totalité. Nos pulsions violentes deviennent des moyens d’explorer notre inconscient a priori irrationnel. Son dialogue avec notre raison est donc la seule issue permettant de dépasser la confrontation sans fin et vaine entre l’obligation morale de non recours à la violence et notre volonté de violence.

Ainsi, la quête de l’unité dans notre être force au dialogue en soi, d’où naitra un sentiment de pleine conscience d’un moi réconcilié. La réunion de nos deux antipodes intérieurs, que seule la raison permet, est le prémisse de l’universalité que chacun porte en lui et qui permet le dépassement de toute violence. Cette plénitude permet un nouveau comportement de joie transcendant la violence vers une réalisation du soi.

 

 

 

Nous avons montré que la violence, première réaction face à un problème, n’est souvent pas une solution rationnelle mais plutôt une réaction instinctive, que la raison parvient seulement à esquiver ou limiter. Toutefois, l’usage de la raison prend en compte le caractère nécessaire de la violence au sein de l’existence humaine. Dès lors, elle peut devenir dans certains cas un moyen de servir rationnellement un but autre. Cependant, si la violence est indissociable de l’homme, c’est parce qu’elle est le reflet d’une douleur intérieure inexprimable autrement.

Si l’on parvient à réconcilier cet inconscient souffrant et la raison elle-même, un nouvel être de plénitude apparaît et agit en dépassant tout comportement violent. Ne serait-ce pas une voie vers la sagesse ?

Rédigé par Laulevant

Publié dans #Corrigé de dissertation

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J
Général à souhait, comme il faut pour une dissertation. <br /> Il y a deux formes de violences et elles se rejoignent à certaines conditions. Mais les deux sont approuvées par certaines catégories de personnes;<br /> Il y a la violence dirigée contre les personnes physiques. En théorie inacceptables, sauf dans certains cas définis par la loi. Cette violence est approuvée par ceux qui, pour des raisons idéologiques ou par intérêt, haïssent les victimes; Elle est condamnée par ceux qui, pour des raisons diverses, soutiennent ces personnes. <br /> Il y a la violence dirigée contre des idées. En théorie acceptable, sauf dans le cas où la loi ou les autorités décrètent que ces idées sont sacrées. Cette violence est vivement condamnée par ceux qui se sont identifiés à ces idées, et chaleureusement approuvée par ceux qui combattent ces idées. .<br /> A partir de là, c'est plus clair.
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D
Waoh
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F
<br /> bonjour,<br /> <br /> <br /> bravo pour ta très bonne disserte hugo.<br /> <br /> <br /> juste pour signaler le mot qui manque dans la citation de Hobbes : "cette [situation] qui se nomme guerre" en fait c'est surtout pour montrer que je suis attentif au texte que je révise et que je<br /> suis pas si nul que ça en français ^^ et il y'a aussi l'extraordinaire sensation de pouvoir apporter une infime rectification à Hugo, le seul et l'unique<br />
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